"un petit mot sur mon blog"


"un petit mot sur mon blog"

Psyblog a posé son stylo le 5 juin dernier. Il est parti "ailleurs", pour une autre vie plus sereine et lumineuse.
Ce blog était pour lui une belle aventure d'écriture, de réflexion, d'émotion et de partage. Les commentaires de ses nombreux lecteurs en sont un témoignage chaleureux. Vos derniers mots tout particulièrement...
Continuez à le lire ou à le relire pour sa plus grande joie ailleurs...

lundi 9 janvier 2012

Merci monsieur


Il est arrivé avec sa mère, l'air renfrogné. Ils sont entrés tous les deux dans mon cabinet... Elle a parlé. Lui non. L'air renfrogné. Il a dit plusieurs fois qu'il ne dirait rien. Qu'il ne dirait rien et d'abord qu'il ne voulait pas venir ici. Qu'il en avait déjà vu des psys. Que jamais ça n'avait servi à quelque chose et que d'abord la psychologie ça sert à rien.
Le tableau clinique est impressionnant : 14 ans, gros, renfermé, pas de copain, scolarité nulle, de toute façon à partir de demain je ne vais plus à l'école, aucune activité sauf la télé, silence en famille, aucune participation à la vie familiale, silence, silence, silence et enfermement dans un mur de souffrance solitaire.
Il coupe la parole à sa mère, dit ne pas pouvoir parler avec son père, ni vouloir parler avec tous les psys chez qui on m'amènera...
Car des psys, il en a vu. Des vieux, des jeunes, des femmes, des hommes... des... pffff ! Des !

Parfois, souvent même, à l'occasion de tel ou tel échec ou ce que je peux considérer comme des échecs, je me demande si je suis un "bon" psy. Pfff ! Je serais bien en peine de définir ce qu'est un bon psy et pourtant !
Et pourtant après une demie-heure de dialogue de sourd, de dire et de silence, de coupage de parole agressif et d'écoute, je propose à ce garçon renfrogné et apparemment pas disposé à rester avec moi de... "m'offrir cinq minutes de sa vie", en plus clair vu ses yeux ronds, de se et me permettre de rester seul avec moi pendant cinq minutes qui, si elles n'allaient peut-être pas bousculer sa vie, allaient me permettre de lui dire ce que moi j'avais compris de sa souffrance. Et il a dit Oui. Sans conviction mais il a dit Oui.
Seul avec moi. Seul face à moi. Je lui dis que je crois que je sais sa souffrance, que si je ne la comprends pas je l'entends et la sais. Il lève peu à peu les yeux. Passe du renfrogné à l'écoute. De l'écoute au dialogue, et lorsque au bout de cinq minutes je lui dis que c'est lui -"parce qu'il n'a pas deux ans mais douze et que c'est lui qui est à même de décider"- qui va décider s'il veut ou même s'il veut seulement bien qu'on se revoit à nouveau pour "parler de tout ça" il me répond OUI, je me dis que je suis que j'ai réussi à ouvrir un peu oh un tout petit peu la porte vers sa liberté à lui.

Le Oui a été franc. Net. Pas une fois, pas deux, mais ok il était d'accord pour qu'on se rencontre cinq fois et après on verra. Lorsque sa mère, invitée ensuite à entendre ce OUI-là, m'a dit qu'elle avait quelques difficultés financières et qu'une fois par semaine ce serait difficile pour elle, il lui a dit qu'il avait lui aussi de l'argent et qu'il paierait la moitié des consultations, je me suis dit qu'il avait "gagné", ce garçon. Qu'il y croyait, que le contact qu'il avait entendu avec moi était sérieux. Que peut-être (et sans dénigrer les autres psys) il rencontrait celui en qui il voyait une chance et un désir de changement.

Trop souvent les ados sont portés-tirés-poussés par leurs parents. Ils veulent bien mais sans plus. Le désir ne vient pas d'eux mais de leurs parents. Je reste convaincu que donner à l'enfant/l'ado le pouvoir de décision et celui au final de décider de leur thérapie est un gage de "réussite", pour peu que l'on puisse parler de réussite quant à une psychothérapie. Je suis convaincu qu'il faut parler aux ados (pour tout dire, j'en veux aux psys silencieux) et que la seule attente de l'expression de leur désir est souvent voué à l'échec. Je suis convaincu aussi que l'on doit parfois désirer à leur place, quoi qu'en disent les psy engoncés dans leurs principes. Je suis convaincu que tout en gardant ma casquette de psy, il est nécessaire d'être vrai et tendre et compassionnel avec ceux qui souffrent.
L'on ma laissé entendre, enfin, ce que l'on m'a dit de mon travail il y a quelques semaines m'a profondément atteint : Un patient "mécontent" m'a dit que je n'étais pas psy. Pas psy véritablement. Je me suis posé plein de questions fin 2011, me suis remis profondément en cause. Eh bien je dis que oui je suis psy. Et que si j'ai pu entrer en contact avec un ado renfrogné et disant que la psychologie ça ne sert à rien, eh bien je suis psy. Terre à terre peut-être, sans grandes théories, mais capable au grand dam de certains, de me rouler par terre avec des enfants, de parler vrai avec un ado, et de faire en sorte et sans démagogie aucune qu'un ado soit d'accord, et non seulement d'accord, mais ait envie, de travailler avec moi.

Ce garçon, en descendant l'escalier, s'est retourné vers moi, et dans un silence émouvant, m'a dit Merci monsieur. Et je trouve ça génial ! Et je me dis que tout psy que je suis j'ai le droit de trouver ça génial.

13 commentaires:

  1. Il en a gros sur la patate de porter le merdier mais il a trouvé son tire-bouchon, car un psy n'est ce pas c'est un tire-bouchon avec parfois option plomberie déboucheur en chef.
    Ca va l'faire, Psyblog, ça va l'faire.

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  2. Je vois qu'on vit le métier de la même manière. La critique de ce patient montre que vous êtes un bon psy sinon, il n'aurait rien dit et serait allé ailleurs. Quand ils veulent nous faire mal c'est qu'on les a touchés aussi. Je trouve difficile de gérer l'agressivité de certain(e)s de mes patients mais je me rends compte que c'est essentiel de ne pas se laisser atteindre car c'est du transfert :)

    De ce que je lis ici très souvent, moi je vous trouve bon psy !

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  3. Comment définir un bon psy , comment percevoir le résultat ?
    difficile de répondre , mais dans cette narration , tu nous montres que tu as réussi à lui donner l'envie de sortir de ces murs
    Oui , il faut parler aux ados , leur donner des limites , leur dit qu'on se fait du souci pour eux , qu'ils ont besoin d'être protégés
    Ah la , je me demande même si .. à un moment donné , il faut pas les prendre par l'épaule et leur dire , allez , maintenant , ça suffit , tu vas chez les psy , et pas "tu veux pas qu'on aille voir un psy ? "
    je crois que tu es un vrai psy , je le lis ...

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  4. Il a de la chance d'être arrivé chez toi, ce garçon parce que... c'est toi, tout simplement.

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  5. Comme j'aimerais que mon fils rencontre un psy comme toi. Lui aussi il en a vu des psy ! On en a vu ensemble quand il était petit. Mais toujours des gens à oeillères, des gens qui entendaient ce qu'ils voulaient entendre, qui n'étaient pas à l'écoute pour de bon. et quand tu es patient, tu le ressens très bien. Ces gens font plus de mal que de bien. La seule chose qui me gêne dans ton billet, c'est que tu qualifies ce garçon de "gros". Comme si c'était une tare de plus. Sans doute que oui. Mais ça m'a blessée de lire ça comme ça.

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  6. Je qualifie ce garçon de gros parce que 110 Kg à 14 ans, c'est gros et c'est un fait. Ni une tare ni un jugement, un fait.

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  7. Je lis votre blog régulièrement et il me semble que vous ETES UN BON PSY !
    Bon sens , intuition , "ruse" pour faire craquer les "renfrognés silencieux " .;)

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  8. bonjour,
    je débarque sur votre blog et.. vous m'avez fait venir les larmes aux yeux
    Si ma fille avait pu rencontrer un psy tel que vous quand elle allait si mal... les psy silencieux on en a croisés! Faut croire que malgré tout ce qu'elle en disait certains ont fini par l'aider...

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  9. Tu es un bon psy, pétri d'humanité. Cela transpire de ton blog.
    C'est vrai qu'il y a des patients qui nous font douter. Mais il ne faut pas superposer "bon psy" et " bons résultats"…
    Certes, si on foire avec tous ses patients… On peut se poser des questions !… :-)

    C'est émouvant ce que tu relates avec ce garçon. Je pense qu'il a vu à toi, en raison de ton attitude, qu'il y avait un « possible ». Et là c'est gagné !
    Tu as eu envers lui une affection profonde. Ce n'est pas de l'ordre du sentiment affectif. C'est de l'ordre de la foi en lui.
    Tu crois en lui. Alors il peut commencer à y croire.
    ça devait être cela son " merci Monsieur" ( quand bien même il n'en avait pas pleine conscience, il le ressentait cependant…)

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  10. Concernant la question de savoir si tu es un bon psy: je me suis toujours demandé quelle valeur ont ces "principes" dont tu parles aussi dans ta note, à savoir que les psys devraient être silencieux, ou même rester distants? Comment aider les gens si l'on n'a pas d'empathie, si l'on ne peut pas comprendre leur souffrance?
    Comme j'ai souffert la seule fois ou je suis allé voir un soit-disant "vrai" psy! Je n'y suis allée qu'une seule fois. Et j'ai recherché après une thérapeute de PNL qui n'avait pas fais d'études de psychologies mais qui savait écouter ses patients. Vu de à travers tes notes, je suis sûre que tu es un bon psy. (je te lis régulièrement, mais ne commente presque jamais)

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  11. Ce petit bout de phrase m'a fait "tilt" : «pour tout dire, j'en veux aux psys silencieux».
    Ca fait un moment que j'espère tomber sur un psy qui ne garderait pas le silence en me "forçant" moi aussi au silence... ou qui ne parlerait pas pour moi.
    Je crois qu'on ne peut pas être "bon psy" pour tout le monde parce que chacun a des demandes différentes... mais depuis que je vous lis, je me dis que j'aurais aimé en trouver un comme vous.

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  12. Venant de chez Manou, je te lis en diagonale et en pointillé... :o)

    Contrairement à d'autres commentateurs, je ne sais pas si tu es un bon psy. J'ai usé quelques'un de tes collègues (7 en fait) depuis quelques années pour tenter de tordre le cou au deuil non fait (mais alors pas du tout) du décès de ma mère à 17 ans, ainsi que toute une kirielle de casserolles diverses et variées issues d'une éducation inadaptée.
    Je n'ai rencontré certains qu'une seule fois: quand le courant ne passe pas...
    Il en est de savoureux: "Mr Candide, objectivement, avez-vous des raisons d'être anxieux ?
    - non.
    Eh bien alors, vous n'avez pas besoin de moi.
    - ????" :oO

    A priori, je crois ça me gênerais pas de travailler avec toi...

    :o))

    Candide

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